Paimpol, terre de caractères

Episode 1

P1020360 Terre sauvage, côte escarpée aux criques discrètes, longue dentelle rocheuse surmontée d’un sentier des douaniers reliant des ports à l’histoire toujours vivante, paysages changeant au gré des marées, la région du Goëlo a gardé l’empreinte des épopées d’antan. Paimpol illustre parfaitement l’attrait exercé par ce territoire, mêlant subtilement un passé aventureux et un présent identitaire et évolutif. Sans oublier celles et ceux qui ont façonné cette terre de caractère à leur image. Bien sûr, on se souvient de Théodore Botrel et son immortelle chanson « la Paimpolaise », un peu de Marcel Cachin, homme politique des IIIème et IVème Républiques, directeur de l’Humanité durant 40 ans. Certains se remémorent Georges Brassens cheminant dans les rues attrayantes de la cité. Mais il est peu probable que les noms de Suzanne Wilborts, de Jeanne Perrot par exemple raisonnent encore dans les mémoires…Et pourtant…

ce12474e-3430-11e7-9227-e41462922faa

Nous sommes en 1941, l’aube est encore loin, Jeanne Perrot s’apprête à ouvrir discrètement le portail de sa propriété, dans le quartier du Four à Chaux à Paimpol. Héritière d’une famille paimpolaise de négociants en bois et d’armateur, elle a dès la déclaration de la guerre refusé et rejeté l’occupation allemande, comme bons nombres de bretons, particulièrement ceux de la côte. Celle que des témoins d’aujourd’hui continuent de surnommer Ton Jean, a décidé de rejoindre très tôt un petit groupe de résistants, la Bande à Sidonie, réseau créé en 1941 à l’instigation d’une sage femme de l’île de Bréhat, Suzanne Wilborts, accompagnée de son mari, le pédiatre Adrien Wilborts. Peintre talentueux, celui-ci aura notamment pour mission de dresser des plans pour  informer les alliés. Le réseau couvre le secteur de Paimpol. Son objectif : faire passer des informations par divers moyens à toute personne rejoignant Londres.

CAM01969

Ton Jean propose immédiatement de recueillir les aviateurs anglais avant leurs futures exfiltrations. Elle devient alors « hébergeur », maillon indispensable de la chaîne d’évasion. Les soldats sont cachés dans sa propriété, le château Perrot, pour un délai variant d’une nuit à plusieurs jours. Elle s’ingénie à rendre leur attente plus douce en mettant à disposition des romans dans leur langue d’origine, en organisant des parties de cartes, en leur permettant d’écouter la TSF, mais prudemment, tout en leur faisant découvrir la cuisine bretonne. Son investissement est d’autant plus remarquable que dès le 10 juillet 1940, le hangar au bout de la propriété, tient lieu d’écurie, gardée par des soldats allemands. Paimpol est en effet transformée en ville de garnison. Aux couvre-feux, interdictions diverses et variées, écoles et maisons réquisitionnées, restrictions s’ajoutent le va et vient constant des soldats, la circulation des camions des occupants. Ce qui n’empêche aucunement les actes de sabotage, sévèrement punis en retour.

téléchargement  Ton Jean n’a pas froid aux yeux. Mais elle sera dénoncée, internée à la prison de Fresnes puis relâchée faute de preuves. Le mouvement Georges France 31, en relation avec l’Intelligence Service auquel la Bande à Sidonie s’est agrégé rapidement sera anéanti en 1942 à cause d’un agent double infiltré travaillant pour l’Abwehr (services secrets allemands). 25 membres seront déportés en Allemagne à Ravensbrück, Buchenwald ou Mathausen dont la famille Wilborts, Suzanne dite Sidonie, sa fille Yvette Marie-José, et Adrien le père. La jeune fille et sa mère seront libérées le 21 avril 1945. Depuis, celle qui est devenue Marie-José Chombart de Lauwe n’a cessé de témoigner de l’horreur de cette époque mais aussi du courage de celles et ceux qui ont dit NON. Tout acte de résistance, allant du port d’habits tricolores chemisier blanc, jupe rouge et foulard ou ceinture bleus, au transport de lettres sur les routes de campagne, en passant par l’inscription du V de victoire surmonté de la croix de Lorraine était passible d’emprisonnement ou pire.CAM01965 Que dire de l’appartenance à une filière d’évasion !

Jeanne Perrot, Suzanne Wilborts Marie-José Chombart de Lauwe feront parties de plus des 1000 femmes qui ont combattu pour la liberté. A l’égal des hommes elles ont connu la souffrance, ont risqué leur vie. Seule une poignée d’entre elles seront acceptées par les compagnons de la Libération…

Paimpol est enfin libéré le 17 août 1944. La vie reprend ses droits, les habitants réapprennent peu à peu à se parler, à sourire. Entre temps Ton Jean s’est mariée. Silhouette masculine, toujours habillée en homme, mains habituées à travailler la terre, sans cesse en mouvements, Ton Jean sarcle, bêche, sème, plante, cueille, traie ses deux vaches bretonnes « pie noir », s’occupe des moutons, confectionne du beurre, bref fait à elle seule le travail de plusieurs. Elle disparaît en 1960 à l’âge de 70 ans, laissant le souvenir d’une personnalité haute en couleurs mais très discrète sur son passé de résistante de la première heure. Question de tempérament sans doute.  En revanche l’histoire d’Yvette Marie-José Wilborts est toute autre….

CAM01967

Jeanne Perrot dite Ton Jean après la guerre dans sa propriété , le château Perrot, aujourd’hui appelé le Four à Chaux